Entre-soi…

J’aurais pu écrire une poésie à ce sujet 

Entre-soi

Entre soie

Nous voilà dans de beaux draps

C’est confortable

Mais un peu minable 

Tant d’individus jetables…


C’est doux, mielleux, à réciter au coin du feu, alors que moi, là, mon mood, c’est plutôt de pousser UN PUTAIN DE COUP DE GUEULE ! 

Nous voilà en 2024 à constater une société qui devient de plus en plus communautaire dans ses réflexions, ses opinions, ses choix politiques et surtout dans ces rejets. 

Et cette société, ce sont aussi des gens qui recrutent, évaluent des candidatures et participent au futur staff de leur entreprise. 

Quand on associe les deux, que se passent-ils ? 

Le formation de clans

Au sein même des entreprises, naissent de plus en plus la pratique de clans communautaires sur l’identité même des individus ou encore même sur leurs opinions. 

Ce que je pensais définitivement mort, c’est-à-dire des cloisonnements entre départements pour manger à la cantine ou, pire, du mépris de classe déguisé en “voyons la Direction ne va pas déjeuner avec le bas de l’échelle hiérarchique de l’entreprise”, cela se reproduit sous différentes formes à travers les discussions et les événements d’entreprises : les événements tard le soir vont, par exemple, exclure les parents, les discussions clivantes à la pause café vont t’aider à grimper dans l’échelle de l’entreprise si ton propos caresse celui de ton manager ou alors t’exclure immédiatement des potentielles évolutions de carrière si cette discussion se transforme en débat houleux. 

Vous me direz : « cela a toujours existé ! », ma foi…

Mais, j’ai ce sentiment, qu’il devient de plus en plus difficile d’être juste cette personne qui fait son taff, avec ses différences. Ces différences étaient rarement mises sur la table. En d’autres termes, on se mettait rarement à poil sur ses origines, sa religion, ses traumas. Aujourd’hui, ces différences sont de plus en plus utilisées comme outils de marketing pour bâtir une jolie marque employeur. 

Par ailleurs, il faut monter son identité, ses opinions politiques, son camp au risque de ne pas faire comme tout le monde, pire, au risque de donner des signaux d’un manque d’efforts d’intégration. 

A force de marteler : “venez comme vous êtes”, c’est devenu presque un ordre alors que les personnes apprécient aussi faire un schisme entre ce qu’ils sont avec leur entourage et ce qu’ils sont au travail. 

Ainsi, le plus naturellement possible, les discussions professionnelles entrent sur le terrain personnel, sur des débats qui mettent terriblement mal à l’aise certains individus qui savent qui ne seront pas majoritaires  et/ou dans le courant mainstream de la pensée collective et/ou la cible de préjugés encore très ancrés. 

Pourquoi je vous dis cela ? 

Car, récemment, en discutant avec certaines personnes, avec ma casquette d’agent de carrière, est remonté ce point qui pousse, de plus en plus, au départ : le mismatch de valeurs. Et quand je creuse, cette personne me dit qu’elle a eu le malheur de donner son opinion sur l’actualité qui n’est pas passée auprès de ses collègues. C’était lui contre tout le monde alors qu’il aurait préféré ne rien dire mais c’était le sujet de discussion à la fameuse pause café (Ah le télétravail c’était bien quand même….).

Ainsi, je me dis que, de plus en plus, on ne rejoint plus vraiment une entreprise mais une tribu avec son modèle de pensée et sa propre vision de la Diversité. 

Prise de risque nulle 

Cette vision communautaire de l’entreprise provoque un terrible phénomène : une absence de risque totale avec la volonté de recruter des individus qui se ressemblent notamment via le prisme de la cooptation : au sein même des entreprises, arrive tout un staff d’une autre entreprise. Ce même staff arrive avec son formatage, sa façon de travailler ensemble, sa culture technique. 

Il est rassurant d’aller chercher des individus qu’on connaît, avec lesquels on a l’habitude de travailler. Je comprends parfaitement la démarche qui, non seulement, sur le plan psychologique, permet de maintenir une certaine sécurité psychologique mais aussi qui permet d’atteindre rapidement un bon niveau d’efficacité sur la période cruciale de l’intégration en poste. Le produit est délivré rapidement car les individus connaissent leur fonctionnement, savent leurs qualités mais aussi leurs défauts. C’est beaucoup plus productif au quotidien. 

Dans un contexte où les levées de fonds peinent à décoller, je comprends cette volonté d’atteindre rapidement un bon niveau delivery et de limiter la casse au niveau du coût des recrutements avec des individus qui seront plus fidèles au poste car ils n’ont pas accepté uniquement un job mais un travail avec CETTE équipe. 

Cependant, ce monde parfait a tout de même ses limites. 

Discrimination et favoristime intragroupe

En effet, Je constate ainsi de la discrimitation implicite assez forte avec des effets de bords incroyables : au nom de la merveilleuse cohésion d’équipe qu’on ne veut surtout pas abîmer ni froisser, les personnes nouvelles qui sortent un peu du profil type de l’équipe sont écartées du processus de recrutement. Je m’explique, voici quelques exemples : “nous n’avons que des personnes seniors dans notre équipe, ça va donc être difficile pour ce profil junior de s’intégrer”, “Nous n’avons que des profils ingénieurs avec un background assez poussé côté logique algorithmique, ça va être compliqué pour cette personne en reconversion de s’intégrer”. Je ne caricature pas. Ce sont des choses que j’ai déjà entendues. 

Ainsi, il devient donc difficile de miser sur des personnalités et/ou des parcours différents, qui sortent du profil mainstream de l’équipe. 

Aussi, au niveau de l’intégration, j’ai déjà vu des greffes très douloureuses voire impossibles car ce staff venu d’ailleurs a créé un incroyable effet de groupe en interne difficilement pénétrable voire même non critiquable. C’est la force du groupe et celle du nombre. Toute tentative de remise en question de ce qui a déjà été fait et pensé par le plus grand nombre devient une épreuve douloureuse pour la personne qui se greffe au collectif. Son quotidien devient une levée de boucliers et une nage à contre-sens avec comme feedback lors de l’entretien annuel :  “Le collectif tu l’aimes ou tu le quittes”

D’ailleurs, ce phénomène à un nom : le favoritisme intragroupe.

Cela fait référence au fait que, sous certaines conditions, les individus auront une plus grande affinité pour le groupe interne que pour le groupe externe, ou envers toute personne qui se considère en dehors du groupe interne.

Notre perception des actions des autres individus est également affectée par le favoritisme intragroupe. Dans les faits, les individus ont tendance à évaluer plus positivement les actions des membres de leur propre groupe que celles des membres du groupe externe.

Le favoritisme intragroupe a été notamment étudié dans une étude empirique menée par Molenberghs et ses collaborateurs en 2013. L’expérience montre qu’il suffit d’assigner arbitrairement un individu à un nouveau groupe pour créer des biais inter-groupaux, de sorte qu’apparaît une préférence pour le nouveau groupe assigné. 

Dans l’étude, les participants, séparés en deux groupes de supporters, devaient observer des vidéos de leur équipe et de l’équipe adverse. Les participants ont ensuite été invités à juger de la vitesse des mouvements des mains des deux équipes. En moyenne, les participants ont jugé que les membres de leurs propres équipes étaient plus rapides, bien que les mouvements des mains étaient exactement les mêmes pour les deux équipes.

Et le plus surprenant, c’est de constater que la discrimination ne vient pas toujours du haut, des managers qui décident et qui tranchent en cas de désaccord mais de l’équipe elle-même qui favorise l’endogroupe. Cette discrimination se fait aussi bien à l’entrée d’un nouveau poste mais aussi au niveau des évolutions professionnelles. Par exemple, un manager qui vient de l’entreprise A va davantage recruter des gens venant de l’entreprise A vers l’entreprise B pour avoir des alliés en interne et va aussi les faire progresser à de postes de responsabilité pour conserver un certain pouvoir « hégémonique ». 

Militantisme : incarnation d’un nouveau leadership 

Par ailleurs, la vision du leadership prend aussi d’autres contours dans cette vision communautaire dans le monde professionnel. 

Pour rassembler et fédérer il faut un combat et des traumas en commun. Les décideurs et les décideuses vont davantage aller sur le terrain des émotions, sur le terrain de la revanche sociale; Finis les discours lisses, nuancés avec une vision chiffrée et workaholic de la réussite. 

Il n’y plus d’un côté l’échec et de l’autre la réussite. L’échec fait partie du storytelling de la réussite. Voire plus extrême : la maladie et/ou les origines font partie de l’histoire du projet d’entreprise du créateur et/ou de la créatrice. Et quand leur histoire est plutôt banale, ces créateurs et ces créatrices sauront mettre les bons tokens en représentation. 

Et plus tu as un bon storytelling qui se rapproche du militantisme, plus tu parviens à recruter des individus qui n’embrassent pas uniquement ton poste, mais aussi ton combat. 

Fleurit donc un entre-soi autour d’une cause, d’un combat basé sur l’histoire d’un seul homme ou d’une seule femme. 

On retrouve cela dans le monde de l’économie sociale et solidaire, dans certaines associations ou encore même dans des coopératives. 

Ce n’est pas toujours un projet d’entreprise mais plutôt une thérapie de groupe où le Groupe choisit les individus selon le niveau d’adhérence au combat menant inévitablement à de terribles démarches discriminatoires : par exemple, si le projet d’entreprise est de sauver la planète et que tu dis, en entretien, que tu adores voyager en avion, c’est cuit. Je caricature à peine…

J’ai même lu des annonces en recrutement qui étaient ouvertement discriminatoires car ils recherchaient un profil  qui collait parfaitement à leur cause et à leur vision d’un bon candidat pour embrasser leur cause. On n’est plus véritablement dans le registre des compétences. Ils ont essentialisé la compétence à l’identité ou au genre ou aux origines. 

Parfois, je comprends que cet entre-soi soit une façon de mieux se comprendre et de mieux comprendre les autres qui vivent la même chose, de mieux se soigner, de mieux apprivoiser ses propres démons mais pour cela il faut se caresser collectivement dans le sens du poil. Si, dans le staff, une personne a le malheur de remettre en question la vision, le projet, c’est tout un trauma personnel qui revient à la surface et qui se retrouve malmené. 

Il devient donc presque impossible de débattre, de dialoguer, de critiquer. Toute forme d’opposition devient un miroir déformant, une forme d’oppression et une trahison au bien fondé de la cause. 

Le leadership n’est plus uniquement une personne qui parvient à rassembler des avis et des histoires divergentes mais une personne qui rassemble des personnes qui se cherchent et/ou qui trouvent enfin un rôle modèle à la limite du paternalisme ou du maternage. Il y a une certaine infantilisation dans le fait de jouer ce rôle de porte-parole auprès d’un collectif effacé, tristement apprécié dans sa posture de faiblesse, qui prend rarement voire jamais la parole. 

Inertie et suicide collectif 

Vous voyez le suicide collectif c’est un truc qu’on retrouve grandement quand on évoque les sectes mais cela existe, sous d’autres contours, à l’échelle d’une entreprise. Ce fameux leader a endossé la cape de sauveur ou de sauveuse et reste tristement campé.e sur ses positions en affirmant qu’il faut aller dans cette Direction, celle de SA vérité, de SON histoire, de SON intuition. Bien que ça pue à des milliers de kilomètres que le projet va droit dans le mur, le collectif chouine, subit, pousse de temps en temps quelques gueulantes mais, finit, tristement par se soumettre et par accepter son sort en suivant aveuglément leur gouron sauveur qui ne consulte personne et qui ne se repose sur personne pour bâtir une vision moderne, actualisée en fonction des feedbacks et des réalités du terrain. 

En misant sur cette posture radicale, il y a souvent un environnement professionnel terriblement marqué par l’inertie : inertie dans les choix techniques, dans les méthodologies, dans les choix clients, et tristement dans les recrutements à réaliser. Le ou la leader sauveur.se va recruter son copain sauveur aussi. Ensemble, ils vont croire dur comme fer que c’est la bonne direction à prendre tout en coupant les têtes des pouvoirs menaçants et des personnes influentes en interne.  

Rien ne bouge tant que l’ego est sauf, tant que le créateur ou la créatrice est toujours dans la lumière. Puis, un beau jour, la dure réalité frappe à la porte : démissions à répétition, baisse du chiffre d’affaires, perte de clients, legacy et impossibilité d’aller vers une modernisation technique. Ils se poseront à leur bureau, les poches vides, et diront que c’est la faute des autres. Et ils vendront tout puis repartiront avec un nouveau branding, une nouvelle équipe servile, après tout pourquoi changer une équipe qui gagne ! (Ou pas)


Voici donc quelques exemples (il y en a certainement beaucoup d’autres !) de phénomènes communautaires au sein des entreprises que je constate assez fortement dans les retours candidats. 

Et si je devais conclure cet article, je dirais la chose suivante : mais comment avons-nous rendu aussi fragile la culture du débat et l’ouverture au dialogue ? 

Certaines entreprises ont tellement cette crainte de prendre des risques, qu’elles jugent, plus rassurant, de ne pas communiquer, de ne pas dire qu’elles se sont trompées, de ne pas prendre ce temps pour éventuellement pivoter leur business modèle et/ou leurs choix techniques initiaux. Elles vont vers la simplicité dans la réflexion, les échanges, les choix des recrutements aussi. Et si elles se prennent le mur en pleine face, elles pourront miser sur la force de leur communauté et donc diluer plus facilement leur responsabilité individuelle. Car, finalement un « NOUS » qui a raté c’est vachement plus joli en termes de storytelling pour la suite qu’un « JE » qui a merdé. La communauté devient, tristement, un échappatoire à sa propre conscience et un cache-misère des pires comportements toxiques en entreprise. 

Shirley Almosni Chiche

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