RH, un métier déshumanisé?

C’est un titre provocateur, voire accusateur mais c’est avant tout un éclairage que je souhaite faire sur un métier qui a toujours le mot humain dans sa définition mais qui a tendance à s’en éloigner.

L’éloignement ne se traduit pas par un manque de proximité et d’outils utilisés dans la gestion des hommes et des femmes. Bien au contraire, ces outils se multiplient au point de créer une forme de déshumanisation inconsciente dans le monde des ressources humaines.

1) Reporting

Pour gérer les ressources humaines, nous savons faire des tableaux Excel très pointus avec des détails qui frisent la perfection. Des tableaux qui parlent des effectifs, des prochaines intégrations, des potentiels départs et du nombre de collaborateurs. On sait observer l’Homme au microscope au point de dessiner ses contours, de mesurer son ROI dans le temps. On sait le nommer, le qualifier, le citer à travers son nom, son prénom, ses souhaits de rémunération. Ces chiffres nous rassurent dans notre rôle de gestionnaire des ressources humaines un peu comme un Président observe sa qualité de Chef d’Etat à travers les chiffres des sondages. Mais ces chiffrent rassurants n’ont aucun effet miroir sur notre réel rôle de responsable des ressources humaines. Un rôle qui n’est pas uniquement celui du gestionnaire/comptable mais un rôle qui est aussi social. En effet, on a tendance à l’oublier mais notre rôle est aussi social, tourné vers la connaissance de l’autre. Les responsables des services RH connaissent-ils vraiment les hommes et les femmes qui composent leur entreprise? Savent-ils lire entre les lignes, déceler un futur départ voire pire un burn-out, aller au-delà du prénom, du nom et du numéro de sécurité sociale ? Aller au-delà des aspects comptables? Est-ce le rôle du RH de connaître les facettes de la personnalité des collaborateurs? Est-ce le rôle des managers de proximité? Des collègues? Ou juste un domaine qui frôle la limite du privé et ne doit donc pas être abordé dans le monde du travail? Ou un rôle social que le RH limite volontairement afin de se préserver et de conserver une forme de distance et d’autorité auprès des collaborateurs? Autant de questions qui montrent que le métier de RH est loin d’être facile. Comme disait Jean Dorst, “rien de ce qui est humain n’est simple”. Je suis peut-être encore un peu jeune dans ce métier pour avoir la prétention de dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire mais je suis persuadée d’une chose, qui a fait ses preuves sur le terrain, c’est que l’empathie reste la meilleure arme de gestion du personnel. J’ai tendance à dire que l’empathie est le défaut de ceux qui n’en ont pas et la qualité de ceux qui l’ignorent. Elle se met à l’oeuvre de façon naturelle. Cette intelligence émotionnelle, comme dirait Daniel Goleman, permet d’activer l’extincteur sur les maux professionnels avant que le mal-être embrase tout un service. Elle permet de sentir l’ambiance électrique avant l’orage, de prévenir un potentiel burn-out et de sentir une vague de démotivation. L’empathie est bien malheureusement souvent associée à une faiblesse professionnelle alors qu’elle devrait être une qualité indispensable à un poste de responsabilité et un critère d’embauche à valoriser pour favoriser une bonne ambiance dans l’équipe. Il est vrai que les responsables des ressources humaines ne peuvent pas être sur tous les fronts pour déceler une souffrance au travail. Cependant, c’est un attribut indispensable à ce métier qui est un métier d’intuition, de chef d’orchestre des sensibilités et des personnalités, un métier de bon sens et surtout un métier de pompier au chevet de la souffrance au travail.

2) le RH commercial

Au-delà du reporting, le métier de RH repose de plus en plus sur une performance commerciale notamment au sein des cabinets de recrutement. Ainsi, de la même façon que l’on gère une équipe commerciale, on gère une équipe RH en mettant en place des objectifs à atteindre générant une course aux primes et une rivalité entre collègues. Ce contexte a tendance à mettre davantage l’accent sur la quantité et non sur la qualité et à se détourner de l’acteur principal du processus de recrutement: le candidat. En effet, l’humain n’est plus au coeur des débats. C’est plutôt les chiffres et l’argent: “A qui revient la prime? Qui a contacté ce candidat en premier? Il faut faire du volume…etc”. Autant de remarques qui dénotent d’une gestion industrielle et de moins en moins humaine des candidats. Il y a risque de négligence des sensibilités, des attentes et des projets de carrière des candidats. Dans ce monde des ressources humaines, on voit de plus en plus le profil de RH commercial. Le mot psychologie du travail se fait de plus en plus rare et devient presque un gros mot. On fait l’éloge des résultats et du chiffre (peu importe les moyens utilisés). On s’attarde un peu moins à féliciter les recruteurs qui obtiennent des retours élogieux de la part des candidats. On n’encourage pas les recruteurs qui mettent de la qualité dans le processus de recrutement (personnalisation dans la gestion des opportunités, conseils, écoute, suivi etc). Le dimension commerciale, la qualité de la relation candidat et la psychologie dans le processus de recrutement ne sont pas incompatibles. Cependant, il ne faut pas privilégier l’un au détriment des autres. Il faut garder en tête les enjeux business sans oublier que l’on gère de l’humain, donc des aléas, des susceptibilités, de l’incertitude, de potentielles fragilités psychologiques, et des personnes plein d’espoir qui accordent leur confiance aux recruteurs dans la gestion de leur carrière. Et on sait combien changer de carrière ça change une vie, des habitudes et un environnement familial. On ne change pas de poste comme on change de téléphone ou de voiture. En tant que recruteur, il faut donc rester vigilant et humain.

3) la communication

Les entreprises ne cessent de multiplier les outils de communication RH. Lorsque l’on évoque le métier de RH, on ne peut le dissocier de la marque employeur et des réseaux sociaux. Ces outils de communication favorisent grandement la belle image de façade que l’entreprise souhaite renvoyer: ambiance fun, relation de proximité, transparence…Donc l’image d’une entreprise et d’un service RH profondément humains. Cependant, ces derniers sont bien trop souvent virtuels. Quand on revient à la réalité, il y a de réelles barrières à la communication (service RH difficilement accessible, un seul biais d’envoi de candidatures avec une adresse mail spécifique, un processus de recrutement en ligne fastidieux etc). Aussi, le message peut être clairement décorrélé de la réalité et du vécu des collaborateurs en interne. Ainsi, en parallèle d’un gros budget de communication, il serait plus simple de favoriser autant voire plus la communication en interne et les actions concrètes (qui ont plus d’impact que les mots): par exemple l’accessibilité aux handicapés, l’égalité des salaires et des chances, des locaux agréables, des actions de cohésion d’équipe, une augmentation des salaires et autres actions de fidélisation des collaborateurs. Une communication interne qui finit par être portée à l’extérieur par les collaborateurs; ce qui créée une bonne réputation et peut devenir pour l’entreprise sa meilleure campagne de communication. Ces actions permettent aussi de replacer l’humain non plus uniquement au coeur des enjeux RH mais aux coeur des enjeux de l’entreprise.

4) le RH au coeur des enjeux de l’entreprise

Tout ce qui est décrit au-dessus est relativement lié à la place accordée au Responsable des Ressources Humaines dans l’entreprise. Plus il est limité au rôle de sourcing ou de comptable ou de communication, moins il portera d’intérêt à l’humain. Il faut qu’il soit placé au coeur des enjeux stratégiques de l’entreprise, qu’il puisse avoir son mot à dire sur les risques psychosociaux, sur la relation candidat, sur la fidélisation des collaborateurs et les actions à mener. Dans un rôle limité, le RH perd lui-même la signification du mot humain écrit sur son contrat de travail. Pourtant c’est bien lui qui va au front et qui est confronté au quotidien aux critiques et aux revendications sans avoir malheureusement les leviers d’action. Ainsi, cela peut créer une forme de frustration sans avoir la possibilité de la partager (le RH se doit d’être corporate auprès des collaborateurs et solidaire de la Direction). Dans un tel contexte, le RH peut tout simplement être lassé d’endosser la casquette humaine et sociale si lui-même n’est pas considéré humainement et si il n’est pas écouté. Cela ne l’encourage pas non plus à développer son empathie (encore faut-il qu’il soit doté de cette qualité, ce qui n’est pas toujours le cas). Au début de carrière, il y a beaucoup de bons sentiments, une volonté de bien faire ce métier et de se rapprocher au plus vite du métier de Responsable du développement RH. Puis, petit à petit, la réalité prend le dessus. La service RH n’est pas si valorisé que ça par les autres services de l’entreprise. Même si les mentalités changent en cherchant à faire du RH une fonction stratégique, on l’appelle encore souvent « fonction support » donc fonction d’exécution et administrative. Par ailleurs, c’est une activité consommatrice en temps et en énergie. Donc, autant faire ce métier avec passion. Autrement, il n’y a rien d’agréable pour vous et les collaborateurs qui sollicitent vos services si vous n’y mettez pas du coeur et de l’humain. D’ailleurs, beaucoup de RH s’en éloignent ou délèguent par manque de temps et/ou par manque d’envie. Aussi dans certaines entreprises, les tâches sont bien réparties provoquant un morcellement de l’information dans la gestion du personnel (les recruteurs par exemple ont une partie de l’information liée au processus de recrutement et les responsables du développement RH ont d’autres informations au quotidien sur les collaborateurs recrutés sans faire systématiquement un recoupement des informations). Ce morcellement des tâches repose sur le fait qu’une seule personne ne peut pas tout faire, notamment dans les grands groupes. Cela se base aussi sur le fait que le recruteur ne veut en aucun cas faire de la gestion du personnel et celui qui gère la communication RH ne veut en aucun cas réaliser des tâches de recrutement. Il peut donc exister ce type de morcellement dans des TPE/PME. On multiplie donc les moyens, les interlocuteurs ce qui peut aller à l’encontre d’une gestion qualitative du personnel. Trop d’outils humains tuent la relation humaine. 

Pour conclure, je dirais que l’inhumain fait partie de l’humain d’où la complexité du métier des Ressources Humaines. Un métier voire une science, à la portée de tous et pour l’usage de tous, qui évolue dans le temps en fonction des hommes et des femmes qui la composent. C’est un métier qui gère la ressource et l’humain et non pas uniquement la ressource humaine. Comme le coeur est humain dans la mesure où il se révolte, prend conscience ce qui est inhumain et ce qui peut provoquer une souffrance au travail; Il faut donc savoir le dire, l’écrire et le partager afin de faire bouger quelques lignes sans pour autant prétendre apporter la solution du bonheur au travail, un bonheur qui est composé de tant de pièces qu’il en manque toujours….
Shirley Almosni Chiche

5 commentaires

  1. Bonjour,

    Malheureusement, tant qu’il sera considéré comme une gestion de ressources, le métier RH s’éloignera de l »humain »… Tant que les salariés seront considérés majoritairement comme une « masse salariale », ils ne pourront pas se rapprocher de leur DRH ou des IRP pour construire leur carrières, faire des propositions pour améliorer la QVT au travail et le développement de l’entreprise. D’où le fossé entre DRH et salariés exposé dans maints articles. Voilà pourquoi aussi beaucoup de jeunes formés aux métiers RH sont déçus par leurs postes.
    J’espère comme vous que la DRH traditionnelle se transforme en « Développement des Richesses Humaines » grâce à la jeune génération qui fera bouger les lignes…
    Cordialement,

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  2. Bonjour Shirley, et merci encore une fois pour ton (très bon) article !

    Une question cependant :
    L’adn des SSII (en terme général), ce sont la gestion de l’information et des fonctionnalités associées, ou le placement de prestataires ? Traduction : l’adn des ssii, c’est l’informatique ou la viande ?
    Il suffit souvent de regarder qui est à la tête d’une boite (et surtout sa formation) pour avoir la réponse : feriez vous confiance a une entreprise dont le patron ne fait pas partie du business qu’il vend ?
    Je dit pas ca pour carbon-it, dont j’ai eu de bons retours, mais je penses que le soucis actuels du métier RH (qui est entre le marteau et l’enclume) est très liès à ce phénomène de financiarisation globale des activités de production.

    Camille

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    1. Merci pour ton retour Camille. Pour répondre à cette question: « feriez vous confiance a une entreprise dont le patron ne fait pas partie du business qu’il vend? » Je ne te cache pas que je serais prête à faire confiance à Sensee pourtant Marc Simoncini n’est pas un opticien…

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      1. Bon exemple Shirley.
        C est super son truc ! (Je viens de découvrir).
        Il est pas le seul commandant, Il a quand même un opticien Y dans son board.

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