Votre place sur le marché du travail est entre l’offre et la demande

Il était une fois le marché du travail en 2009. Il n’y a plus grand chose à se mettre sous la dent. Tout le monde s’est servi et il ne reste que les invendus, ces opportunités qui exigent un diplôme de grande école avec une rémunération qui se rapproche davantage de celle du stagiaire que du cadre confirmé. C’est un marché où l’on accepte les restes pour avoir les premières lignes sur un CV, un marché où il faut d’abord commencer avant d’exiger, un marché où on l’on apprend à se différencier pour exister, où l’on cherche à détourner les circuits de sélection classiques, où l’on déjoue les formules standards pour adresser sa candidature d’où mon intérêt grandissant à cette époque pour les réseaux sociaux qui ont vu une réelle opportunité avec la crise.
Dans ce marché, le seul lot de consolation c’est de se regarder dans le blanc des yeux et de constater que finalement nous ne sommes pas seuls à ramer. Le seul lot de consolation c’est d’avoir en tête que l’on ne peut pas travailler où l’on veut mais que l’on peut travailler tout court, et c’est déjà pas mal. Le seul lot de consolation c’est d’avoir un niveau d’employabilité certainement plus élevé que ceux qui n’ont pas de diplôme pour se défendre sur le marché. Bien évidemment, nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne et je le constate encore aujourd’hui. Comme de nombreux jeunes diplômés, j’ai été bercée par des discours rassurants et prometteurs, un discours certifiant une bon retour sur investissement du diplôme. On savait que ça allait être difficile et que l’on serait la promotion sacrifiée dans un contexte de génération sacrifiée. Le mot crise commençait à se lire sur toutes les bouches mais on se disait que le chômage et le travail précaire ce n’était pas pour nous. Ce diplôme tant attendu nous procure une sentiment de reconnaissance sociale, nous certifie d’ouvrir les bonnes portes de part la réputation de l’école et de ses diplômés, nous rassure sur notre niveau intellectuel mais finalement je constate que ce n’est pas le nom ou le prix du diplôme qui en fait sa valeur mais plutôt les compétences qu’il certifie au regard des besoins des entreprises. Malheureusement, il n’y a pas de service après-vente pour les diplômés Bac+5 qui ne trouvent pas d’emploi. Il n’y a pas de garantie avec une mention « satisfait ou remboursé », une hotline pour donner des conseils de recherche d’emploi (c’est normal, cela ne s’est jamais vu), pour donner de bons tuyaux pour avoir un coup d’avance en faisant les bons choix de carrière. Il n’ y a personne pour nous orienter de façon personnalisée vers des modèles de carrière : start-up, grand groupe, des métiers plus manuels, statut de salarié, statut de créateur d’entreprise (certainement plus risqué qui n’assure pas un retour sur investissement immédiat du diplôme). L’école de commerce est une formidable vitrine professionnelle, un formidable bagage de connaissances théoriques et pratiques, un formidable espace de vie et de rencontres, un formidable annuaire des promotions, un socle de méthodes de travail, une façon de penser que les entreprises françaises privilégient (certainement par habitude), une clef pour ouvrir des portes mais les écoles de commerce françaises n’ont pas spécialement développé de culture stratégique dans la formation de ses élèves (mettant certainement en péril l’emploi des formateurs) et dans l’accompagnement de ses diplômés. Elles pourraient par exemple fermer certaines filières créatrices de chômeurs, proposer des formations continues adaptées aux besoins des entreprises, prendre part financièrement aux créations de start-up de ses diplômés avec la possibilité d’obtenir un % sur le CA généré, ou créer des plateformes internes de conseil et de suivi de carrière, tel un cabinet de recrutement, pour augmenter l’employabilité  et la visibilité de ses diplômés etc.  En France, tout le monde doit avoir un diplôme, dans d’autres pays, le schéma de formation est plus pragmatique: tout le monde doit avoir un métier et la loi de l’offre et de la demande s’applique dés le plus jeune âge. A cette époque, je ne comprenais pas le silence et le manque d’entraide entre anciens diplômés. J’en voulais aussi aux recruteurs de manquer d’attention à ma candidature que j’avais minutieusement personnalisée aux valeurs, aux codes de l’entreprise, de manquer de temps pour me donner une explication sur leur retour négatif par mail ou par téléphone, d’être à leurs yeux un CV de trop, très certainement classé « à rappeler après la crise », gommant ainsi mes traits de motivation. J’en voulais à cette population qui décidait de mon avenir en adressant un simple mail de courtoisie. Prendre son avenir entre les mains, c’est ce que l’on ne cesse de nous apprendre à l’école par le biais des stages, des années de césure, des cycles d’alternance, et autres associations qui nous donnent un aperçu de poste à responsabilité. Puis, très rapidement, on délègue cet avenir entre les mains des autres.

Je me suis naturellement orientée vers le recrutement, certainement pour être de l’autre côté, pour mieux comprendre les rouages du système, pour tenter de proposer quelque chose de différent. Mes réflexes de « candidat en galère » m’ont beaucoup aidé dans mon métier de recruteur. Il faut aller plus loin que les outils proposés, plus loin que la pensée commune et tout cela avec beaucoup d’optimisme. En d’autres termes, mon expérience m’a permis de développer un formidable « système D » dans lequel je prend plaisir à cueillir les fruits de mon travail. Les échecs, les ratés en entretien, la colère d’un manque d’accompagnement m’ont peut-être rendue plus résistante aux difficultés, plus sensible aux parcours des candidats, plus attentive à leurs attentes avec une vraie volonté de les accompagner et de les conseiller sur la durée. Je pense que ça aide d’avoir connu le métier de candidat (car oui c’est un métier) pour bien faire son métier de recruteur ou de manager.
En tant que recruteur, j’ai aussi compris beaucoup de choses sur mon passé de candidat conjugué à l’imparfait et mon présent de chasseur conjugué au « pas si simple ». Chercher un emploi c’est un métier. Chercher des candidats, en cabinet de recrutement, c’est un autre métier avec la même contrainte: dépendre de la décision des autres, celle des clients avec leurs exigences, leurs valeurs, leurs contraintes budgétaires et celle des candidats avec leurs exigences également, leurs interrogations, leur choix professionnel.
Par ailleurs, ce que m’apprend mon métier au quotidien c’est qu’un candidat très sollicité peut avoir les mêmes réactions qu’un recruteur : pas de retour de mail, proposition de poste placée dans les spams etc et qu’un recruteur peut avoir le même comportement qu’un candidat: relance téléphonique, relance par mail, intrusion, présentation video, buzz etc. Ceci est assez flagrant sur le marché de l’IT où les règles du marché du travail sont inversées.
Ainsi, candidat et recruteur, les qualités de l’un et de l’autre ne sont pas propres au statut, au titre écrit noir sur blanc dans le CV ou sur un carte de visite, au titre donné à la banque, chez le médecin  mais plutôt à la position de force que le recruteur ou le candidat a sur le marché du travail.  Le marché du travail est un marché comme les autres et le diplôme n’est pas systématiquement la variable d’ajustement. Ce sont les besoins en recrutement des sociétés qui  dictent le prix et le retour sur investissement du diplôme, tant pour l’entreprise que pour le diplômé. Un informaticien issu d’un cursus universitaire peut avoir une rémunération bien plus élevée en début de carrière, avoir plus de pistes professionnelles qu’un diplômé issu d’une école de commerce qui a choisi de travailler en marketing, RH ou communication. Par ailleurs, la valeur d’un diplôme peut évoluer avec le temps en fonction des changements sociaux et économiques. Hier, c’était le monde de la finance qui recrutait, aujourd’hui c’est l’IT, qui n’est plus qu’une fonction support dans les entreprises mais une vraie fonction stratégique. Il y a certains métiers et exigences qui se créent et d’autres qui disparaissent avec l’internationalisation des postes, la polyvalence des salariés et les nouvelles technologies. Les hommes et les femmes de ce marché parviennent à faire bouger certaines lignes en allant au-delà du diplôme, en restant exigeants avec des candidats très sollicités, en prenant des risques avec la création de nouveaux postes dont les compétences souhaitées ne sont pas toujours certifiées par une école, en misant davantage sur la personnalité que sur les compétences requises mais la réalité c’est que chaque besoin a son cahier des charges et certains CV ne rentrent pas dans les critères attendus. Certains CV, même les plus riches en expérience, les plus originaux peuvent être consultés sur l’instant, peuvent attirer l’attention du recruteur mais ils débouchent rarement sur une embauche si le besoin en face n’est pas au rendez-vous.

Ainsi, le principal filtre de votre candidature n’est pas le ou la chargée de recherche qui vous adresse un mail de refus, cible facilement atteignable et détestable, mais tout simplement la loi de l’offre et de la demande, sur un marché du travail au périmètre de compétences continuellement changeant et mondialisé. Partant du postulat que nous sommes dépendants de l’offre et de la demande sur le marché du travail, de plus en plus de diplômés, de personnes en recherche d’emploi ont décide de créer la demande en créant leur propre entreprise donc leur propre employabilité, de créer leur propre produit, de prendre une autre voie que la voie élitiste afin de donner une utilité à leurs compétences, à leur savoir-faire et ce, quelque soit le diplôme. Leur patron c’est eux et leurs clients. La nombre croissant de créations d’entreprises ce n’est pas seulement une vague d’entrepreneurs mais aussi une vague de chômeurs en quête d’utilité sociale, dans un contexte où il est presque aussi risqué d’être salarié qu’entrepreneur.

On peut dire que la loi de l’offre et de la demande est la seule loi qui n’a pas été votée et que tout le monde subit mais chacun, à son niveau, peut décider de la réformer…

Shirley Almosni Chiche

 

Laisser un commentaire