La crise de la quarantaine !

Il faut qu’on parle. J’ai 40 ans dans deux ans et je songe à devenir Présidente. 

Je plaisante voyons ! 

Je ne bouge pas assez la tête et je ne suis pas assez en marche de toute façon, le télétravail toussa toussa. Ca sclérose les articulations forcément…

Blague à part. Au-delà de croire au programme de ma machine à laver, plus fidèle à ses promesses que celui d’un Président, j’ai aussi besoin de croire au programme de ma carrière : où aller avec plus de rides sur le front et sans me faire un lumbago en me penchant trop fort vers de nouveaux défis ? Que peut apporter une daronne du recrutement en plus de tout ce qui a déjà été fait, pensé, proposé dans son secteur ? 

C’est vrai. Les seniors comme moi naviguent tranquillement en faisant parfaitement ce qu’ils ont toujours réussi à faire mais, parfois, ça manque d’originalité, de coup de boost, de coup de folie. Une sorte de mariage ronflant avec son propre job qui manque un peu de soirées libertines quoi ! D’ailleurs à ce sujet, il y a peut-être un truc collectif à tenter : c’est vrai ça ! Aller au-delà de soi-même et se faire plaisir en visant peut-être plus large, plus grand… (j’avoue ça commence à devenir gênant cette métaphore filée…)

Je veux dire le freelancing c’est bien mais créer sa boite avec des gens et bâtir un projet collectif ça peut avoir du sens pour ensuite crier sur le pupitre Linkedin « parce que c’est notre projet !!! » (enfin celui d’un investisseur qui acceptera d’aligner les chèques pour que le rêve s’échappe de l’oreiller).

Je constate que cette crise existentielle s’agite de plus en plus dans le cœur et l’esprit de beaucoup de personnes que je côtoie. Normal ! Quand j’ai commencé ma carrière dans le recrutement, les candidats que je rencontrais avaient à peu près 20 ans. Aujourd’hui il en ont plus de 40 pour certains. Nous avons grandi ensemble. 

Nous finissons donc par nous retrouver dans une sorte de cercles de blasés anonymes, chacun derrière son écran en train de rire en racontant son parcours sans oublier de faire le bilan calmement, en s’remémorant chaque instant comme si nous avions 50 ans. Le temps passe, passe et beaucoup de choses ont changé. En effet, nous nous interrogeons sur l’évolution des IA génératives, sur le Nocode, sur Kubernetes (ah ah je plaisante il était juste bien placé ce mot ici), au sujet des nouveaux arrivants sur un marché IT compliqué et de plus en plus éclaté (architecture distribuée, cloud…) nécessitant de franchir des marches de connaissances de plus en plus grandes. 

On s’interroge aussi et on constate, tristement, quelques régressions. Il y a certes des progressions techniques fabuleuses avec des outils de plus en plus puissants mais aussi beaucoup de régressions sur le plan humain comme le fait d’accorder de moins en moins de temps pour tout : pas de temps d’accompagnement, pas de temps pour comprendre les besoins utilisateurs et bâtir un projet business fiable au-delà des levées de fonds, pas de temps pour apprendre les fondamentaux techniques du code, pas de temps pour se parler, se confier et avoir en face de vrais humains qui comprennent et écoutent. L’empathie devient peau de chagrin et les seuls masques qui restent sur le visage des gens ont quelques traits de fausse bienveillance et beaucoup de chiffres et des calculs de performance. 

Ainsi la difficulté dans la carrière n’est pas toujours liée au fait de se former. Sur ce point il y a pléthore de sources et ressources pour apprendre plein de concepts. ChatGPT est ton ami et il répond à toutes tes questions les plus farfelues que tu n’oserais pas poser en réunion ni à ton ou à ta tech lead. Il y a matière à monter en compétences tout le temps, partout, une sorte d’océan du savoir dans lequel beaucoup prennent parfois le risque de s’y noyer.

Ainsi, selon mon prisme du recruteuse, je dirais que l’une des principales difficultés dans une carrière professionnelle aujourd’hui réside grandement dans la recherche de l’expression/de l’incarnation de notre humanité au quotidien : travailler sur un projet qui nous anime, rejoindre une équipe dans laquelle il y a cette envie de se lever, d’accepter de quitter le full remote, de prendre les transports, d’attendre le RER B sur le quai (temps aussi long qu’une période d’essai des fois…), de se mêler aux aisselles (oui je suis petite) pour voir des collègues vraiment top en réel. Cette quête d’un collectif où il y a une réelle envie commune de travailler et progresser ensemble revient très régulièrement dans mes échanges avec les candidats car ce type de collectif se fait bien rare.

Aujourd’hui, en théorie, les entreprises ne cessent de dire qu’elles mettent l’humain au centre de tout, mais dans la réalité, elles ne voient pas toujours à quel point l’humain n’a plus le cœur à rien. Ainsi, au lieu de réanimer ce coeur en essayant éventuellement de réfléchir à de meilleures conditions de travail et d’évolution, de miser sur de réels investissements dans la connaissance du droit du travail et de ses pendants légaux pour une meilleure sécurité psychologique au travail, beaucoup d’entreprises investissent dans des artifices du bonheur; dans le remplacement de ceux qui alertent et se plaignent par des salariés moins revendicatifs et plus serviles ou par des IA qui n’ont pas de préférence ni de sentiment. Certes, il existe des jobs bien pénibles comme prendre le risque de se prendre un couteau ou encore de se faire empoisonner avec du détergent mais j’imagine qu’ un professeur se réveille le matin en ayant tout de même le sentiment d’avoir un rôle utile et humain pour la société.  

Quand j’accompagne les personnes, cette crise de la quarantaine (de la trentaine même, ça arrive de plus en plus tôt), repose grandement sur une accumulation, un trop plein. En effet, les personnes ont accumulé des compétences, ont consolidé un savoir qui fait aujourd’hui leur réputation, leur valeur professionnelle tout en ayant accumulé beaucoup trop de choses lourdes enfouies dans un coin de la tête pas toujours abordées ni partagées avec leur entourage amical, familial comme professionnel. Ces choses trop lourdes sont, par exemple, la charge d’un environnement toxique, la charge d’accepter des décisions inacceptables et/ou absurdes, la charge des décisions injustes qui ont brisé des collègues, la charge du sexisme et du racisme ordinaire. Arrive donc la quarantaine avec une sorte de fatigue de porter toute cette merde tapie au fond du crâne, qui, un beau jour, tape à la porte et provoque de sacrées migraines professionnelles et une fatigue qui dit stop, faisons le bilan avec des calmants en se reposant chaque instant. Fragiles, dirons-nous de nous. peut-être… 

Mais une chose est sûre, côté fragilité, le marché du travail rentre aussi dans cette catégorie : on parle désormais d’une personne ancienne dans un job en informatique lorsqu’elle a deux ans d’ancienneté. Cela fait quelques années maintenant que nous sommes dans une économie du jetable à l’échelle de l’emploi : les postes se jettent, les compétences aussi. 

Mais j’ai l’âme résistante. J’y crois encore à ce marché dans lequel j’ajuste régulièrement mes lunettes d’ancienne. Je vois beaucoup de choses sordides, je ne vous cache pas. Parfois, j’aimerais retirer ces lunettes pour voir davantage flou et passer à côté sans broncher. Mais avec ces lunettes je me dis que le plus important n’est pas toujours de voir loin mais de voir juste et de rester proche de mes valeurs, toujours mises à l’épreuve dans chacune de mes décisions. 

Un jour, je jouerai les mères castor avec des bébés développeurs et développeuses, avec des bébés recruteurs et recruteuses, avec mes propres enfants et je leur dirai la chose suivante : la crise de la quarantaine arrivera certainement quand vous aurez vu suffisamment de choses pour savoir finalement ce qui vous rend heureux !

Bien cordialement, bisous

Shirley Almosni Chiche

2 commentaires

  1. On sent un poil de mélancolie. Je suis dans la Tech depuis 28 ans, j’ai 50 ans dans quelques jours et toujours l’envie de créer des nouvelles aventures, d’ailleurs une nouvelle commence en mars et j’ai besoin de 150 techniciens itinérants sur toute la France. Si tu veux participer à un projet qui tu es la bienvenue : konvergo@mcif.fr

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