Les mécanismes de la Haine

« Haïr, c’est tuer virtuellement, détruire en intention, supprimer le droit de vivre. Haïr quelqu’un, c’est ressentir de l’irritation du seul fait de son existence, c’est vouloir sa disparition radicale. »

En observant le monde autour de moi, j’ai voulu davantage écrire au sujet de la haine, qui existe dans la société, dans le monde de l’entreprise, partout, avec mon regard extérieur telle la spectatrice d’un mauvais film. 

La Haine s’est longtemps cachée. Elle ne montrait que sa bande-annonce, son teasing. Elle n’a jamais autant dévoilé son scénario, ses acteurs, son intention.

J’ai voulu donc comprendre ce mauvais film et comprendre comment on arrive à ce sentiment qui pousse à vouloir éradiquer l’autre, physiquement ou virtuellement. 

J’ai pu constater 4 ressorts de la haine :

1 La peur. 

La haine n’est pas le contraire de l’amour mais c’est plutôt la peur qui est l’opposé de l’amour. Il y a cette peur intrinsèque de perdre : perdre son identité, perdre son pouvoir, perdre son territoire, être remplacé, ne plus exister. Il y a la fragilité d’une domination, la fragilité d’une possession qu’on pensait acquise.

Par exemple, beaucoup d’hommes n’aiment pas les femmes non pas par désamour des femmes mais bien par peur des femmes : peur de perdre du pouvoir, d’être menacés en tant qu’individu et/ou en tant que groupe. Il y a aussi ce sentiment de peur concernant l’islam, une religion qui aurait plus de pouvoir que l’autre (chrétienne) donc perte d’influence et de pouvoir. 

Il faut donc, dans l’esprit de certains, anéantir l’autre dans sa croissance pour conserver son influence. Il y a ici une sorte de réflexe primaire de survie avec cette vision de l’autre comme une menace. 

2. Le manque.

Une société qui développe un sentiment de haine est une société qui a de profondes frustrations : « il y a ceux qui ont et moi je n’ai pas ce privilège ». Cette absence de possession et/ou de reconnaissance cherche des coupables, et parmi eux il y a ceux qui possèdent voire, diront certains, ceux qui volent. Il y avait typiquement ce discours plein de frustrations et de préjugés à l’époque concernant les femmes qui volaient le travail des hommes, ou aujourd’hui des immigrés qui prennent les aides des français, ou les juifs qui dérobent/détournent le pouvoir et les richesses. Dans le monde de l’entreprise s’effectue ce même schéma de réflexion : à défaut de chercher à comprendre personnellement pourquoi la personne ne possède pas les avantages d’un système, cette même personne pointe l’autre qui posséderait trop : trop de savoirs, de connaissances, de mérite, de reconnaissance de ses compétences.

Par ailleurs, plus une société est fracturée dans la redistribution de ses richesses, plus elle cherche dans l’autre la cause du manque et de ses frustrations. Au lieu de travailler sur le fond du problème de la justice sociale en essayant de réformer un système injuste, on pointe du doigt l’autre qu’il faut donc, selon certains, anéantir sur la balance pour retrouver une forme d’équilibre. L’anéantissement est l’aboutissement d’une justice réparée…

3- L’anormalité 

Certaines personnes perçoivent l’autre comme anormal c’est-à-dire pas dans les normes de leur grille de lecture. On n’est pas dans le deuxième cas du manque c’est-à-dire « il possède ce que je n’ai pas » mais plutôt dans le cas de figure « il n’a pas ce que j’ai » et le « ce que j’ai » ça peut être la couleur de peau, le statut social, la culture et bien d’autres éléments jugés comme différents. Il y a, dans ce registre, beaucoup de fantasmes sur la question de « l’étranger » avec, notamment, la sémantique de la maladie : « cancer d’une population », « gangrène » , « vermine ». L’autre est animalisé, déshumanisé et est perçu comme inférieur intellectuellement/socialement par rapport à la norme du groupe dominant. 

Il faut donc, selon certains, créer une rupture afin d’éviter la contagion, l’assimilation et donc conserver son intégrité. Le fameux « ce que j’ai » ne doit pas « être taché » par la différence de l’autre.

4 – Le trauma

Par exemple, il est arrivé à une personne un événement traumatisant dans sa vie pour lequel il n’y a jamais eu de réparation ni de deuil. Ce conflit interne jamais résolu surgit régulièrement quand cette personne voit un groupe donné ou une personne qui appartient au même groupe/communauté que la personne à l’origine de ce trauma : même culture ou même religion ou mêmes éléments de langage ou même genre. D’énormes biais s’activent annihilant toute lucidité et esprit critique.

Ainsi, la haine associe l’individu à haïr à un ensemble et cela au travers de multiples biais cognitifs dont le biais de confirmation. Certaines choses vont se passer et la personne va immédiatement faire le lien entre son trauma et ce que vivent les autres comme elle. La personne va privilégier uniquement les informations affectives en lien avec sa propre expérience pour en définir des tendances générales. Ainsi, selon cette personne, il convient donc d’haïr l’autre et de l’anéantir car il représente le mal qui la ronge. Cette personne devient l’origine de son malheur, de son trauma jamais soigné. 

Parfois les ressorts s’opposent selon les populations victimes de la haine, parfois les ressorts s’accumulent, avec, in fine, la création d’un concept autour de cette population à haïr. 

On lui accole des qualificatifs englobants, sans distinction, une « masse » qu’il faut rompre pour survivre. La déshumanisation s’inscrit non pas uniquement dans la violence mais dans la création d’un concept. Ce ne sont plus des êtres humains avec leurs différences, avec leurs histoires, leur diversité et leurs nuances mais des concepts généraux : « les immigrés », « les arabes », « les juifs », « les noirs », « les femmes », auxquels on associe des généralités sorties tout droit de la paresse intellectuelle.

Le concept enlève tous les traits humains et donne une matérialisation/incarnation presque analytique de la haine : on a un nom, un groupe, une masse identifiable qu’il faut faire disparaître radicalement. C’est typiquement ce qu’il s’est passé lors de la Shoah avec l’idéologie Nazie. 

Cela va au-delà de la détestation qui est un sentiment provisoire que l’on peut avoir pour quelqu’un selon une situation donnée. La haine c’est un ancrage historique, générationnel qui s’est installé dans l’histoire, l’éducation et les esprits des êtres humains en se basant sur des concepts englobants, normalisés, sans véritablement avoir fait un travail de recherche ni de compréhension sur ce qu’il y a de riche et de varié derrière les concepts. Par exemple, plus jeune, j’ai été surprise, lors d’un cours d’histoire d’entendre parler des juifs comme un concept global de personnes ayant vécu la shoah. Le concept s’arrête ici sans véritablement gratter derrière et parler des différences culturelles au sein même du peuple juif : les différentes ethnies, les séfarades, les ashkénazes, etc. Idem, concernant d’autres populations, comme, typiquement les populations asiatiques pour lesquelles beaucoup ne connaissent pas les nuances ni les différences culturelles. 

Ainsi, pour anéantir la haine, il faudrait davantage la considérer comme une maladie intérieure qui dure depuis des siècles, qu’il faut briser plutôt qu’une mère consolante qui protège et guérit. 

Vue comme la seconde pour beaucoup de personnes, la haine devient cette mère toxique qui pense, soi-disant à votre bien, mais qui finit par briser toutes les possibilités d’un vivre-ensemble ainsi que la création de relations de confiance sur la durée. 

Cette « mère » consolante entraîne une forme d’handicap social de ceux et celles qu’elle nourrit.

C’est dans ce sens que, lors d’un thread, je parlais d’abord d’un travail à faire sur soi-même et reconnaître assez vite à quel moment vous avez développé de la haine : est-ce de la détestation ? Ou alors cela fait des années que vous parlez en négatif au sujet d’une personne ou d’un groupe de personnes, avec les mêmes terminologies et la même irritabilité ? Dans le second cas de figure, je dirais qu’on est sur le début d’une maladie qui prend du terrain dans l’esprit, dans les mots, dans la communication, dans l’éducation des enfants puis, tristement, dans les actes. 

Cette maladie est contagieuse car il suffit qu’un groupe de quelques personnes haineuses réussissent à rationaliser ce sentiment en donnant des arguments plutôt intelligents et/ou réussissent à toucher à vos points de souffrance/frustration et/ou à vos peurs pour normaliser ce sentiment à plus grande échelle. 

Sur ces belles paroles, aime ton prochain (pas le suivant hein, l’actuel) comme toi-même

Bien cordialement, bisous

Shirley Almosni Chiche

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