Savoir dire non !

Depuis que je suis à mon compte (2018), le plus dur pour moi a été de dire non à certains projets business, dans un premier temps, puis, ça a été d’apprendre à bien formuler ce “non”, avec des arguments factuels et dans un dialogue constructif. 

Dans “savoir dire non” il y a “dire non” mais il y a aussi la capacité à savoir le dire. 

Etant franche, brute de décoffrage par nature, un “non” pouvait engendrer, par le passé, avec mes anciens employeurs, une forme de malaise. On me disait souvent que j’étais “rustre”, “cash”, “pas vraiment fine”… 

Sans chercher la polémique, je me demande souvent s’il y aurait eu ce type de formule à l’égard d’un homme. On aurait peut-être parlé de charisme, de franchise, de leadership…

Et pour apprendre à dire non il faut, selon moi, plusieurs choses : 

1. Apprendre à se connaître : déjà réaliser un réel travail d’introspection “ce que je veux faire et ce que je ne veux plus faire”. Quand on se met à son compte, certains.es développeurs.ses et recruteurs.es ont tendance à poursuivre avec les mêmes employeurs que lorsqu’ils.elles étaient salariés.ées. Il y a juste un prolongement du salariat déguisé en freelancing. C’est la solution de facilité. La personne ne prend pas toujours ce temps d’arrêt entre les deux formats, de salarié à freelance, pour bâtir sa “raison d’être »Pourquoi je me mets indépendant ? Pour qui je veux travailler ? Et quelles méthodes de travail je souhaite mettre en application ? 

2. Avoir un réel positionnement commercial : il y a, à mes yeux, une nette différence entre le salariat et le freelancing. Dans le cadre du freelancing, on s’oriente davantage vers un positionnement plus spécialisé. Lorsqu’on postule pour un poste en CDI, la polyvalence est plutôt appréciée. Plus vous avez de cordes à votre arc et plus vous semblez être le mouton à 50 pattes, plus ça plait. Surtout en ce moment : on recrute moins donc une personne qui peut faire le taff de 5 personnes c’est tout bénef ! (Chuuut il ne faut pas le dire trop fort…)

En freelancing, les entreprises attendent plutôt des compétences qui manquent à leurs équipes. Si vous vous présentez comme Madame ou Monsieur couteau suisse, ça risque de vous desservir. Vous acceptez tout mais vous n’êtes pas vraiment bon dans un domaine précis. Cela dessert donc votre positionnement et votre “track record” cad ce que vous allez présenter en termes de projets à vos futurs clients. Ils ne sauront pas vraiment sur quel sujet vous positionner donc ils vous mettront sur le domaine de compétence qui leur coûte le moins cher. Le TJ sera l’axe de choix alors que le choix doit reposer sur votre impact. Ainsi, savoir dire non avec des arguments constructifs c’est vous reposer sur ce pourquoi vous avez décidé de faire du freelancing et sur ce que vous SAVEZ faire.

« Plus vous êtes capable de dire que vous ne savez pas faire telle chose, plus on vous croira quand vous direz que vous maîtrisez parfaitement ce domaine.« 

3. Posez sur la table vos valeurs et votre méthode de travail : en plus du contrat commercial, j’adresse à tous mes clients un document qui se nomme “proposition de valeurs”. Ce document stipule ma méthode de travail en termes d’expérience candidat, ce qui fait que ça va bien fonctionner entre nous et ce qui est rédhibitoire pour moi : discrimination candidat, principe de short list, refus sur mots-clefs, etc. engendrant une fin au partenariat. Ce document devient un élément de discussion avec mes clients. Cela permet de mettre le curseur sur mes limites et de bien voir si nous sommes alignés au niveau de l’éthique, de la méthode de travail et donc s’il sera agréable de travailler ensemble. Les problématiques de matching ne sont pas uniquement entre l’entreprise et le.la futur.e candidat.e. Elles se posent aussi entre l’entreprise et son partenaire de recrutement. Une fois de plus, la formulation du refus peut être faite grâce aux éléments cités dans ce document : “Je ne peux aller plus loin car cela n’est pas conforme à ma méthode et/ou à mon éthique et/ou à mon positionnement commercial”. Cela montre que vous savez où vous allez et que vous êtes raccord/cohérent avec vous-même. Il n’y a rien de pire que d’accepter un prospect alors qu’au fond de vous-même c’est un nogo. Il arrive, parfois, que vous le faites pour croûter en période de vaches maigres mais, cela, je pense, risque de se ressentir dans le quotidien du partenariat : communication agressive, baisse de motivation et changement brutal de mission, laissant derrière vous une mauvaise impression, un goût amer et parfois une mauvaise réputation de votre travail et de votre niveau de fiabilité. Mes contacts, en général, apprécient la transparence, ma capacité à montrer mes valeurs et mes limites.

4. L’affect : je suis de ces personnes qui, par le passé, y allais tête baissée car j’appréciais l’individu. Je le connaissais un peu et je me disais que cela était suffisant pour y aller les yeux fermés. Parfois, j’avais quelques points d’hésitation, de doute mais je ne voulais pas faire de la peine. Je rendais un service, c’était un ami quoi. GRAVE ERREUR ! Ne laissez pas l’affect guider exclusivement vos décisions business. Bien évidemment la décision de travailler ensemble est conditionnée en partie par cela mais il faut y mettre de la raison, du factuel. Une fois de plus, on sort du registre amical : Est-ce qu’il y a un intérêt à travailler avec cette personne ? Vous êtes en phase sur le plan amical/cordial, mais êtes-vous en phase niveau business/ méthode/ éthique ? Il arrive qu’on découvre les individus lorsqu’ils sont dans le cadre pro et non plus dans le cadre informel.

Il faut questionner la personne comme n’importe quel autre prospect et lui adresser les documents officiels. De mon côté, c’est déjà arrivé qu’il y ait les formules suivantes “on se fait confiance, pas de ça entre nous” en gros on bosse sans contrat. C’est NON ! Ou encore ça joue parfois sur le terrain de la culpabilisation car un service rendu a été rendu sur le terrain perso. Sauf que ça n’a rien à voir. L’affect est selon moi (peut-être pas pour tout le monde), le plus dur à gérer car on se laisse vite persuader et on baisse la garde. 

5. Questionner et encore questionner : vous allez certainement passer pour un chieur ou pour une chieuse mais prenez le maximum d’informations sur votre prospect et questionnez son besoin, observez comment il en parle sur le plan purement technique mais aussi comment il en parle sur le plan humain : l’évocation des personnes dans l’équipe et des personnes parties de l’entreprise, les méthodes de communication, le courage managérial… 

“Dis-moi comment tu te sépares de tes salariés, je te dirai quelle entreprise tu es”.

Je questionne beaucoup avec des questions pré-établies pour chaque entreprise mais aussi avec des questions improvisées qui arrivent au fil de l’eau de la conversation. Dans ces moments-là, je prends bien évidemment les informations sur le besoin exprimé mais je suis en mesure aussi d’évaluer le degré d’ouverture et de remise en question du prospect quand je pointe du doigts les éléments qui peuvent ralentir/bloquer la mission. Je vois comment sont reçus mon questionnement et mes critiques. Je vois aussi si la personne a le temps de me parler, de me répondre, de prendre au sérieux son recrutement. J’ai plus de mal avec des briefs de poste faits à l’arrache et avec des besoins formulés de la façon suivante : « c’est urgent » ou encore « on n’a pas le temps, on fait donc appel à toi ».

Il m’arrive de refuser d’aller plus loin car il y a une absence d’implication et/ou un manque de remise en question sur un simple échange de découverte et cela en dit long sur le quotidien que va vivre le ou la future candidate et sur la qualité du partenariat lorsqu’il faudra pivoter au niveau de la recherche et/ou au niveau de la méthode de sélection des candidats.es. Dans cette démarche de questionnement, il m’arrive aussi d’aller checker le Glassdoor de l’entreprise et de contacter les anciens salariés pour avoir un retour plus nuancé que le joli discours qui m’a été donné. 

6. Avoir des critères de choix clients : c’est tout bête mais peu de freelances se posent et se disent : “voilà les clients avec lesquels je souhaite travailler sur la base de ces critères et ceux que j’écarte”. Il y a l’idée donc, comme cité plus haut, d’avoir un véritable positionnement business, mais aussi d’avoir des critères clients. Pour ma part, je me donne une grille, en mode label, sur les critères suivants : 

  • Est-ce que l’entreprise propose du remote et comment elle en parle ? Quel est son degré d’ouverture, sa culture d’entreprise ? A-t-elle un guide à ce sujet ? 
  • Est-elle viable ? Comment fait-elle de l’argent ? Quel est son business model ? Est-ce que les investisseurs sont sérieux ? Qui sont les clients ? Les utilisateurs ? 
  • Quelle est la culture RH/Bien-être ? Est-ce qu’on s’intéresse vraiment aux gens ? Qu’est-ce qui est mis en place pour une réelle prise en compte du bien-être des individus (au-delà du baby-foot) ? Quelle est la politique RSE ? Pourquoi les gens quittent l’entreprise ? Pourquoi certains.es candidats.es ont refusé des propositions d’embauche chez vous ? Etc. 
  • Quelle est la culture technique ? Est-ce qu’il y a une cohérence dans la stack technique ? Est-elle moderne ou en voie de modernisation ? Quelles sont les bonnes pratiques de développement ? Est-ce que les profils techniques sont valorisés ? Si oui, comment ? (salaire, culture de l’apprentissage, du partage, ownership sur le code, possibilité d’aller à des conférences, etc.)
  • Est-ce que le salaire est dans le marché ? Est-ce que le salaire est cohérent avec les responsabilités demandées ? 
  • Est-ce que le projet d’entreprise est éthique ? Est-ce qu’il y a l’idée de faire du business sur l’addiction ou autre, par exemple ? 
  • Est-ce que le cadre de travail est non toxique ? Comment est donné le pouvoir aux équipes techniques ? Comment les décisions se prennent ? Est-ce qu’il y a un droit à l’erreur ? Comment sont accompagnés les juniors ? Est-ce qu’il y a une bonne sécurité psychologique ? Est-ce que l’entreprise a du temps de formation ? 
  • Est-ce qu’il y a une culture de la qualité ? Est-ce que c’est du delivery à tout prix ? Est-ce que l’agile c’est juste un mot pour faire joli ? Est-ce que la qualité est ancrée dans la culture d’entreprise au-delà du code ? Etc. 

Il arrive, bien évidemment, que l’entreprise ne soit pas parfaite. Elle ne peut pas faire un sans faute à chacune de mes questions mais, comme précisé plus haut, ce qui va jouer c’est la façon dont elle répond, dont elle se remet en question et dont elle a conscience de ses éventuels problèmes pour bien recruter et pour bien fidéliser ses salariés.ées. Mes questions les poussent aussi à mettre sur la table des points qu’elles n’ont pas forcément l’habitude d’aborder. Cela suscite, (parfois, pas toujours), un réveil de conscience sur des trucs qu’elles n’avaient pas vraiment pris au sérieux. Et c’est même ce qui m’a toujours poussé à faire du freelancing : avoir cette liberté de parole et être dans une démarche de « coporate hacking« . Si j’avais été employée en interne dans une entreprise avec cette même démarche, j’aurais été considérée comme la relou de service, à la limite de la menace pour la bonne stabilité des règles et des process…#Toimêmetusais

Tout cela pour dire que, plus vous avez des éléments tangibles et constructifs à mettre sur la table, plus le refus sera accepté et compris. Un refus nu, uniquement basé sur un “je ne le sens pas” n’apporte rien auprès de votre interlocuteur. Il y aura un sentiment de frustration ou, au pire, le sentiment que vous n’êtes pas vraiment fiable ou apte à faire le job. 

Des bisous 

PS : promis je ferai un article similaire sur la formulation du refus auprès des candidats.es qu’ils.elles ont trop rarement par manque de temps et de courage !

Shirley Almosni Chiche

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